Est-ce positif, est-ce négatif ? La question de l’historien n’est pas là. Il peut seulement fournir à l’homme et au citoyen des éléments d’information pour nourrir son jugement moral et politique. C’est dans cet esprit qu’il faut lire l’article du quotidien Libération à propos de l’héritage social du régime de Vichy. Un livre qui intéresse la gauche et la droite > Vidéo
Cécile Desprairies en montre les influences dans la société actuelle dans son livre « L’héritage de Vichy ». Cela n’infirme ni ne confirme le jugement moral de Robert Paxton selon lequel ce régime souffre d’une tache indélébile pour avoir livré des Juifs aux nazis et ne rentre pas dans la polémique pour savoir s’il en a aussi protégé. Cela permet simplement de regarder plus en avant la complexité idéologique et politique de l’action de l’Etat français.
Constitution d’Ordres professionnels et de camps de vacances d’entreprises, allocations familiales, fête des mères et souci de l’enfant et du sport, contrôle social de la population avec cantines, carte d’identité, police militarisée et numéro de sécurité sociale ; bien des lois de Vichy sont restées en place. Même l’engouement pour Mozart et les écoles de cinéma dateraient de cette époque.
Racines idéologiques de l’héritage de Vichy. L’article en question élude cependant un aspect de cette histoire, les origines idéologiques de ces décisions.
Corporatisme. Le corporatisme est né parmi ceux qui n’acceptaient pas l’individualisme ultra libéral de la loi le Chapelier de 1791. Il a cherché à retrouver les associations professionnelles interdites radicalement par la Révolution. Ce corporatisme ancien a inspiré le courant du syndicalisme distinguant les associations d’employeurs et d’employés, mais aussi l’idée d’associations communes. Dans les années d’entre deux guerres, le corporatisme est à la mode sous des formes variées. Il est défendu par de nombreux courants, de certains syndicalistes révolutionnaires à des chrétiens sociaux et à divers courants socialisants ou non-conformistes.
Le fascisme italien, l’Allemagne national-socialiste et le régime de Vichy ont infléchi ce corporatisme en soumettant les corporations à l’Etat et en supprimant la possibilité de laisser s’exprimer les conflits d’intérêts entre employés et employeurs, c’est-à-dire le rôle particulier des syndicats.
La libération a rétabli la dimension critique du syndicalisme, tout en conservant sans le dire une dimension corporatiste. Elle a fait des syndicats les gestionnaires de la Sécurité sociale, maintenu une grande partie des Ordres professionnels mis en place par Vichy, en particulier dans les professions indépendantes que sont les médecins ou les architectes.
La survie discrète de ces Ordres professionnels et de certains syndicats pratiquement uniques dans certains métiers comme chez les agriculteurs s’explique sans doute par la relative satisfaction de leurs membres et le faibles nombre de ceux qui trouvent ces systèmes insupportables.
Biologisme. Le souci de la mère et de l’enfant, de la santé et du sport n’étaient pas des préoccupations uniquement fascistes. Il s’agissait de préoccupations largement répandues à l’époque du socialiste chilien Allende aux soviétiques. Il s’agissait aussi d’une mode et d’un goût nouveau pour le sport, répandu dans tous les milieux. Tous les courants de pensée avaient leurs clubs sportifs.
Il s’agissait aussi en grande partie de l’aboutissement de la traduction des découvertes biologiques de la fin du XIXe siècle et de l’application du darwinisme à l’organisation de la société.
Anti libéralisme. Aides sociales et planification, enregistrement des citoyens et police militarisée, l’héritage de Vichy est en partie socialiste et bien des libéraux critiquent son rôle dans la remise en cause de l’ordre libéral et individualiste d’avant-guerre.
Le contrôle de l’individu par l’Etat n’a qu’en partie reculé après la guerre. L’Allemagne a brisé les cartels et la planification, mais conservé l’interdiction de l’école à la maison ; la France a conservé la carte d’identité.