Tribune libre publiée sur le site internet du quotidien La Croix.
Des formules provocantes.
Emmanuel Macron a fait de l’histoire l’un des leviers d’une campagne en quête de consensus national. Dans une France « éclatée façon puzzle », il a voulu tenir compte de toutes les souffrances du passé, au risque de formules trop provocantes sur la colonisation « crime contre l’humanité » ou une « culture française » invisible. Au-delà des couleurs multicolores et changeantes de ses discours, Emmanuel Macron a porté une vision à la fois cohérente et insatisfaisante de ce que devrait être notre rapport à l’histoire.
« consolider l’appartenance et la réconciliation des appartenances à la Nation ».
En marche vers un récit national unificateur ?
Le candidat a dit son désir de renouer « un fil historique ». S’étant mis en marche sur les pas d’historiens de la IIIe république comme Ernest Lavisse, « l’instituteur national », Il veut la « réconciliation des mémoires » par l’appel à des figures historiques variées.
L’ouverture post moderne.
En ne montrant pas comment relier des figures, Emmanuel Macron assume un certain éclatement mémoriel. Il se réjouit en effet d’appartenir à « un temps [où] tout est à reconsidérer » après la fin des grands messianisme politiques. Sa méthode est post moderne quand il veut aboutir à « une véritable histoire universelle convoquant tous les modèles et tous les phénomènes ». En acceptant le « débat critique dans ce qu’il a de plus complet et d’exigeant et de plus acerbe ».
Une vision émotionnelle.
C’est en enfant d’un siècle très émotionnel qu’Emmanuel Macron a voulu « d’une même main reconnaître la souffrance des harkis et des pieds noirs, et reconnaître celle des colonisés ». C’est en « bon élève » qu’il pense se sortir du scandale né de la concurrence des larmes. En « paraphrasant la formule du général de Gaulle aux partisans de l’Algérie française : -Je vous ai compris-. », il a ravivé des blessures anciennes. Il a aussi pratiqué une forme de marketing mémoriel ciblé. L’histoire lui a permis de traduire en symboles ses thèmes de campagne.
Les psychologies consensuelles ont pu apprécier ses références prises à droite et à gauche. Les gens de l’ouest ont pu aimer sa visite vendéenne au Puy du Fou et son mot pour dire sur France Culture que « tout n’est pas bon dans la République » et d’autres auront aimé ses références aux Lumières, à Valmy et au Marquis de Sade.
Une histoire qui reste partielle.
La balance d’Emmanuel Macron finit par pencher plutôt d’un côté que de l’autre. En soulignant « l’aspiration à l’universel », elle se lit comme dans un miroir avec celle de François Fillon qui insistait sur « l’instinct de la liberté et de la grandeur ».
Cela reste politisé et orienté, sans pouvoir intégrer d’autres mémoires historiques, qu’il s’agisse de celle des électeurs de Jean Luc Mélenchon ou des références de ceux de Marine Le Pen. La question de l’intégration des enfants issus d’étrangers n’est pas non plus résolue par le symbole qui veut les faire « se situer au confluent d’un fleuve » pour entrer dans le courant d’un roman et d’un récit national.
Pour une histoire des choix et des valeurs.
Emmanuel Macron juxtapose des paroles, mais ne donne pas de solutions pour les faire vivre ensemble avec leurs morales opposées. Il contourne la question quand on lui demande sur France Culture s’il faut « célébrer la désobéissance » de ceux qui ont refusé de combattre en 1917. Il faudrait au contraire faire découvrir des modèles de frondeurs ou de patriotes et faire réfléchir sur les conséquences des choix des uns ou des autres, sans que la présence d’un personnage dans un cours n’oblige personne à s’y identifier.
Définir l’identité française comme un ensemble de choix et de préférences.
Définir la France comme une « aspiration à l’universel » risque de faire oublier les particularités d’un territoire. Elles naissent d’une série de choix et de bifurcations historiques. Les Français n’ont pas fait la même choses de leurs rois et de leurs parlements que les Anglais.
On trouve en France une priorité à l’Etat et la persistance de nuances régionales, l’austérité et la gauloiserie, l’enracinement villageois et les aventures lointaines. L’histoire des choix français passe aussi par celle de compromis discrets. On y voit un Etat qui ne reconnaît plus aucun culte en 1905 et réserve les églises au culte catholique et aussi un équilibre instable entre libéralisme et pouvoirs des syndicats.
Montrer ces courants dominants ou minoritaires, ces compromis et ces affrontements donne aux élèves la liberté choisir des identifications ouvertes, enracinées et nuancées.
Dans cette perspective, le rôle du chef de l’Etat serait de d’accepter un véritable pluralisme de l’enseignement du passé français et d’indiquer quels inflexions il veut donner aux compromis hérités de notre histoire.
Vincent Badré, professeur d’histoire géographie, auteur du livre « L’histoire politisée ? Réformes et conséquences », Editions du Rocher, 2016
Sources :
La fabrique de l’histoire, France Culture, 9 mars 2017, Transcription par le site du mouvement En Marche.
L’histoire hors série, Avril 2017.
Causeur, n°45, avril 2017.